Il était une fois un monde où les images naissaient lentement.
Elles prenaient le temps d’éclore, comme les fleurs en avril : un coup de pinceau, une gomme sur le coin d’un croquis, une idée griffonnée sur un post-it à 2h du matin. On appelait ça : le travail. La création. L’art.
Les illustrateurs et illustratrices vivaient de ça. Graphistes, autrices, dessinateurs, peintres numériques, artistes à l’encre ou à la tablette : tous faisaient surgir l’invisible, avec du talent et du café – beaucoup de café. On les appelait pour donner vie à une couverture de roman, une affiche de concert, une campagne de communication ou un personnage pour enfant.
Mais un matin, une machine s’est levée.
Elle ne dessinait pas. Elle recrachait.
Des images toutes faites, lisses comme du plastique, prêtes en dix secondes.
Elle n’avait ni cœur, ni regard, ni fatigue.
Et surtout, elle ne demandait ni droits, ni pause déjeuner.
La grande illusion : remplacer l’humain par le “presque”
Alors les humains, éblouis par la vitesse et les lumières de la machine, ont confondu le clinquant avec le génie.
“Regarde cette image ! On dirait du Ghibli !”
Oui. On dirait.
Sauf que ce n’était pas Ghibli. Ce n’était personne. Juste un monstre fait de morceaux volés. Une chimère visuelle nourrie aux styles d’artistes pillés, sans merci ni mention. Mais tant pis, c’est “gratuit”. Enfin… pas pour tout le monde.
Les dinosaures du dessin et les géants du clic
Les crayons ont commencé à trembler.
Les artistes ont vu leur métier s’effacer, pixel après pixel.
Et pendant ce temps-là, des géants bien humains – Coucou La Poste, la SNCF, Mondial Relay – se sont dit que tiens, au lieu d’engager un illustrateur, ils allaient faire appel à un prompt. C’est plus rapide. C’est gratuit. Et ça ne râle pas en cas de brief flou.
Mais chaque image IA a un prix (et il ne se paie pas en likes)
Derrière chaque joli visuel IA aux couleurs chatoyantes, il y a un petit désastre écologique qui mijote. Les serveurs qui les génèrent sont des ogres affamés.
Ils engloutissent l’eau à coups de millions de litres, pour se rafraîchir entre deux “girl in magical forest” ou “starter pack aesthetic with books and candles”. Pendant qu’on prend des douches chronométrées, les IA se baignent dans la nappe phréatique. Et on appelle ça “l’avenir”.
Des images sans âme dans un monde sans saveur
Le plus étrange dans tout ça ?
C’est que ça marche. Les gens aiment.
Ils partagent, ils commentent, ils oublient.
Mais une image sans cœur ne raconte rien.
Une œuvre d’IA ne tremble jamais, ne doute pas, ne rit pas entre deux traits.
C’est une coquille. Jolie, peut-être. Mais creuse.
Une illustration, une vraie, c’est un battement de cil au coin d’un regard.
C’est un coup de stylet hésitant, un éclat de vécu.
L’IA, oui. Comme un pinceau de plus, pas comme la main entière.
Et pourtant, on ne jette pas la machine avec l’encre du bain. Parce qu’utilisée avec discernement, l’IA peut être une alliée. Un outil, pas un patron. Une béquille créative, pas une remplaçante. Elle peut suggérer, accélérer, expérimenter. Elle peut débloquer un projet, offrir des pistes, donner un coup de pouce à l’imaginaire. Mais jamais elle ne remplacera le cœur derrière la main. Pas plus qu’un marteau ne remplace l’artisan.
Pour que cela fonctionne, il faut deux choses :
- 1. Que les artistes soient respecté·es, consulté·es, rémunéré·es quand leurs travaux sont utilisés pour nourrir ces IA.
- 2. Que les institutions, entreprises, collectivités comprennent qu’un bon outil n’a jamais remplacé un bon artisan. Il le rend plus efficace. C’est tout.
En clair : une IA bien utilisée, c’est un super outil pour les artistes. Mal utilisée, c’est un aspirateur à jobs, à styles, à créativité, et à ressources naturelles.
Soutenir les artistes, ce n’est pas “vintage”
Alors oui, on peut continuer à faire comme si de rien n’était, et vivre dans un monde de visuels parfaits mais vides. Ou alors, on peut faire un choix radical : bosser avec des artistes vivants. Commander une affiche à une illustratrice.
Payer un graphiste pour un logo. Confier la couverture de son livre à quelqu’un qui va y mettre du cœur, pas juste des algorithmes.
Parce qu’un monde où l’art est automatisé, c’est un monde triste. Et franchement, qui veut vivre là-dedans ?